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Les Cartons On pourrait croire que j'ai l'habitude, à force. On se tromperait. On ne s'habitue jamais à ce genre de choses. Et puis c'est la première fois que je fais les cartons. Toute seule, parce que j'ai demandé à l'être, parce qu'il serait temps que j'affronte ça seule. Je range tes lettres et tes cartes postales, celles que tu gardais cachées au fond de ton armoire. Je renverrai les siennes à Angel, ne t'inquiète pas. Je ne compte pas en faire un feu de joie. Les autres, hop, au fond d'un carton. Tu vois bien, je ne vis plus dans le passé - si ? - je suis dans les cartons. Je trie, j'emballe, je vide la maison. J'ai commencé par ta chambre, j'y ai laissé quelques bibelots et j'ai transféré la malle d'armes dans la mienne. C'est quand je me suis attaquée aux pièces dites communes que je me suis rendu compte de la place que tu prenais dans cette maison, que tu tenais dans ma vie. A devoir tout remplacer, ça revient cher de faire les cartons. Et ici un vieux pull-over bleu, je me rappelle le jour où je te l'avais pris. Je l'avais fourré au fond de ce placard juste avant que tu n'arrives, tu m'as envoyée faire la vaisselle et après je n'y ai plus pensé. Il est resté là pendant plusieurs semaines, oublié, délaissé, abandonné. Et là, la coupure de journal. Celle que j'ai soigneusement découpée, le lendemain ; la rubrique nécrologique. Buffy Ann Summers... Mes yeux se brouillent à chaque fois que je lis ton nom, je ne me rappelle pas avoir jamais réussi à finir l'annonce. Je crois qu'ils se sont tous réunis en ton nom ; je n'y suis pas allée. Et je passe ma rage à remplir des cartons, avec tout ce que tu possédais, ce que tu aimais, ce que tu utilisais. C'est fou ce qu'on amasse au fil des saisons. Et j'y enfouis ma rage, celle que tu sois partie et que je sois seule, celle que tu sois partie sans même un au revoir. J'en profite pour mettre de l'ordre dans ma chambre. Je range mes livres, mes chaussettes, le magnétophone à cassettes... Celui sur lequel on s'enregistrait, gamines, quand on rêvait encore d'être des rock stars. Je range, je range, je range. Tu vois bien, j'avance dans ma vie - non ? - je suis dans les cartons. Je t'enterre dedans et les monte au grenier ; ils sont lourds. Je peine, je râle, un soupir, un juron. A la fin mes bras et mon dos rendront l'âme, et je donnerai mon royaume pour une aspirine et sûrement un long bain chaud, mais ce sera fait. C'est tellement lourd, le passé. J'ai laissé les photos habituelles accrochées au mur et posées sur les meubles, et je n'ai pas pu me résoudre à les corner de noir. Avancer dans sa vie, ça ne veut pas dire oublier le passé, et puis ça fait du bien de voir des photos de nous trois ; je chéris particulièrement celles prises depuis ma vraie arrivée, celles sur lesquelles je suis vraiment. Je range les photos de ton anniversaire. Tout s'était bien passé. A croire qu'avant que tu... A croire qu'on a voulu t'offrir un dernier anniversaire tranquille, sans disparition de pouvoirs, ni gros type bleu en morceaux, ni huis clos angoissant. Et là il y a celles du voyage à Paris, mélangées à celles du weekend à la mer. Tu étais partie plus tôt que nous, je me souviens, une histoire de démons à exterminer avant lundi. Tu étais partie. Ca me rappelle toutes ces occasions ratées, ces disputes idiotes, tout ce qui a pu nous éloigner... Je suis désolée. Tu vois, je suis dans les cartons et je pleure encore, alors que je croyais avoir pleuré la dernière larme de mon corps. J'ai toujours su que les Tueuses avaient la vie courte, et tu es déjà morte - pendant assez longtemps pour qu'on le remarque - une fois, mais ça voulait pas dire que ça arriverait de nouveau de mon vivant. Et je suis seule dans la grande maison, parce que c'est moi qui l'ai voulu. Et j'emballe, je trie... J'ai bientôt fini.
Ca y est. Tu es dans les cartons.
----------- Les Cartons Tu vois Je range tes lettres Je passe ma rage Je range mes livres Tu vois Je range les photos de ton anniversaire Tu vois Ça y est |