La haine.

C'est puissant, très puissant.

L'amour.

Ca y ressemble, beaucoup.

Lui je le hais, elle je l'ai-... Je n'arrive même pas à le penser. C'est trop ridicule ! Bon sang, j'étais déjà aussi pathétique quand j'ai perdu ma main ? Je crois bien, oui. Ca doit donc remonter à plus tôt... quand on m'a confié le projet Angel ? Quand j'ai accepté l'offre de Wolfram et Hart, le plus gros cabinet de la ville, tout fier que j'étais, jeune diplômé du Barreau ? Quand je suis parti de chez moi pour faire des études de droit en laissant tout le monde derrière, pas un regard vers eux ? Quand j'ai vu mon père se faire jeter par les huissiers en serrant les poings, impuissant que j'étais ? J'en sais fichtre rien, et à vrai dire je m'en fous, à ce niveau. Maintenant, tout ce qui importe, c'est lui.

Merci. Il a osé me remercier alors que mon pare-brise est fichu et qu'elle est partie. Tous ses vêtements, envolés, jusqu'à son odeur, disparue, sa présence... anéanti. Un appart' vide où je suis obligé de faire face à ma solitude, un frigo rempli de plats tout faits qui ne me donnent pas faim - comme si j'allais retrouver l'appétit maintenant - et de bocaux de sang humain qui ne seront jamais bus par personne. Tout ça, par sa faute. Lui, lui, lui, lui, lui !

Le pire ? Je ne saurai jamais ce qu'il lui a fait, vraiment, tout au fond de son coeur sans âme, pour qu'elle devienne silencieuse. Elle n'a jamais été silencieuse. Je devine bien malgré moi les draps froissés, peau contre peau, crocs sortis et vêtements délaissés... Mais pourquoi ce silence ? Qu'est-ce qu'il a bien pu lui dire, lui faire, elle qui a toujours une répartie moqueuse ou un mot doux au coin des lèvres ? Plus souvent une répartie moqueuse qu'autre chose, d'ailleurs. La faute à qui ?

Je le hais, je le hais, je le hais.

C'a pas toujours été comme ça. Il y a même une fois où je me suis tourné vers lui ; bien sûr, il en a profité pour me rabaisser un peu plus encore, comme si je me détestais pas déjà assez, et pour rabaisser mes espoirs et ma tentative. Je suis venu lui déballer mes tripes, il les a prises, en a fait un bon gros noeud, m'a bien montré leur bassesse, puis me les a rendues avec un sourire moqueur. C'est comme ça que ça se passe, entre ennemis jurés. Rien de personnel. Ben voyons.

Du coup j'ai choisi le côté obscur alors que toute ma vie aurait pu changer, parce qu'eux au moins me prenaient au sérieux. Et lui m'a coupé la main. Rien de personnel.

C'a dû commencer là. La haine profonde et viscérale, je veux dire.

J'aimerais savoir ce qu'elle lui trouve au juste. Avec ses épaules éternellement voûtées, sauf lorsqu'il est trop occupé à vous foutre une raclée et qu'il en oublie un peu son fardeau à la con, dans l'ivresse du combat. Ses cheveux poisseux de gel, ses vêtements noirs mal coupés, dénués de classe, sans oublier sa petite troupe affligeante... Quoi qu'il semble avoir au moins remédié à ça.

Et puis il y a aussi ces deux grands yeux sombres qui semblent passer leur temps à vous répéter à quel point vous êtes insignifiant face à lui, et face au monde entier, et ce sourire en coin, méprisant, que vous aimeriez lui enlever du visage, peu importe comment tant qu'il ne sourit plus en vous regardant de cet air supérieur ! Et bien sûr ce ricanement que vous voudriez lui faire ravaler...

Pourquoi elle ne s'est pas contentée de moi ? Mais elle aussi m'a toujours méprisé, je ne suis pas lui après tout et je ne le serai jamais. Avec mes sentiments et ma prothèse, mon humanité et ce coeur qui bat malgré moi... pour elle... contre lui...

Lui éclater le visage, faire sauter ses pommettes à coups de masse, faire craquer ses côtes sous ma semelle et faire couler son sang en longs flots agonisants... A elle, à lui ? Peu importe. Mettre le feu à ses mains et lui briser tous ses phalanges aussi, afin qu'il... afin qu'elle comprenne.

Et puis le - la - jeter contre le mur et se jeter sur lui - sur elle - et recouvrir ses lèvres des miennes avec sauvagerie et faim, et enfin les sentiments se tairont pour faire place à une seule pulsion, un seul désir, deux corps nus ruisselants qui ont soif l'un de l'autre et qui ont soif de s'oublier, surtout.

Je la hais.

the end